Colère

 

Il n’existe de présent, et encore moins de futur, qui surgirait hors du passé. Macron, dont une des rares qualités reste de savoir employer les mots, ne les utilise jamais par hasard. Un de ses nombreux défauts par contre est de considérer que ses administré-e-s sont des idiot-e-s qui ne connaîtraient pas l’histoire, qui ne connaîtraient pas l’histoire de ces mots qu’il emploie, et impensable pour lui, qu’ils pourraient s’y reconnaitre. Car, oui, nous savons d’où nous venons et nous savons ce que nous sommes, encore et toujours : la plèbe, la populace, la meute, les factieux, les factions, la piétaille, la racaille, les Jacques, la chienlit, les damnés de la terre... Quand Macron pense que ces mots sont repoussoirs, pour nous, ils redeviennent étendards.

La lutte actuelle, comme les précédentes et les prochaines, s’inscrivent dans la seule histoire que nous ayons en propre : celle de la lutte pour l’émancipation. Celle de la guerre des classes pour être plus direct. Une guerre, oui, car jamais aucun dominant ne nous a accordé quoique ce soit sans que l’on en passe par l’emploi de la force et par le sang de nos combattant-e-s. Nous n’avons pas à rougir des actes réprouvés par les dominant-e-s d’alors et d’aujourd’hui. Nous serions encore des serfs du moyen-âge sans ce combat perpétuel des peuples contre leurs maîtres. Et cette « violence » qu’ils et qu’elles brandissent aux journaux de 20 heures ne peut pas cacher les violences qu’ils et qu’elles nous font subir depuis toujours. Combien de morts silencieux dans nos rangs pour satisfaire au bon plaisir de quelques-un-e-s cachant leurs forfaits en prétendant servir le bien commun ? Car oui, c’est simple : la misère comme le travail tuent, et tuent à tour de bras. Et si aujourd’hui nous vivons un peu mieux que nos aïeul-les, c’est grâce à leurs combats. Chaque heure de moins travaillée par jour, par semaine, par an ou sur une vie entière, ont leur doit. Notre système de protection sociale, on leur doit. Alors, oui, nous continuons à dresser des barricades, nous continuons à brûler quelques symboles de ce qui nous oppresse encore et toujours, nous continuons à faire peur aux bourgeois-e-s. Pour nous comme pour celles et ceux qui nous ont précédent et dont l’histoire a effacé les noms.

Nul romantisme à invoquer les luttes passées tant qu’on les réactualise aux conditions du présent. Qu’est-ce qui serait inédit dans ce que nous vivons aujourd’hui et qui rend urgent que cette fois, nous sortions vainqueurs de notre combat ?

Peut-être simplement cela pour commencer. Que nous gagnions le combat. Cela fait des années que celles et ceux qui sont élu-e-s sont indifférent-e-s aux protestations. Il faut que cela cesse si l’on croit un tant soit peu aux vertus d’un système démocratique. Au-delà, il n’est plus supportable dans un État dit de droit que les forces de l’ordre soient devenues telles des meutes hargneuses. Qui n’a pas été en manifestation à Paris, Rennes, Nantes ou Toulouse ces dernières années, ne peut comprendre à quel point ce que l’on appelle « maintien de l’ordre » est devenu déploiement de pure violence : fouilles systématiques, tutoiement aboyé, manifestant-e-s nassé-e-s que l’on asperge de lacrymo alors qu’il n’y a aucun moyen de sortir, arrestations, blessures et malheureusement des morts. Depuis Sarkozy, les gouvernements ont laissé la bride ouverte aux policiers en pensant décourager les manifestant-e-s mais aussi les luttes elles-mêmes en n’en offrant que des images de combats urbains et de poubelles brûlées. Il nous faut aussi combattre car nous savons qui sortira vainqueur de ce cycle si nous ne l’emportons pas : le Rassemblement National. Quand il n’y plus de possibilité de se faire entendre ni d’exprimer sa colère, quand la droite joue sa propre caricature avec quelqu’un comme Macron, quand la gauche institutionnelle se perd en luttes picrocholines, en chasse aux maroquins ou se met à genoux devant des hommes autoproclamés leaders du peuple, et pire quand elle trahie dès qu’elle accède au pouvoir, alors nombreux sont celles et ceux qui se tournent vers ce qui leur apparaît comme le dernier espoir d’être entendus. Nous devons finalement et simplement gagner pour celles et ceux qui dès aujourd’hui ne peuvent pas travailler deux années de plus et pour toutes celles et ceux qui vont souffrir des prochaines attaques préparées contre nous par le président.

Quant à nous, artistes ou intellectuels, pour une fois, ne trahissons pas, ne manquons pas à l’appel, ne tournons pas le dos. Et si nous ne sommes pas tous sur les barricades, au moins que nous les chantions.

 

Jean-Gabriel Périot
Libération
25 mars 2023